Friday 12 December 2008

Musique classique et Méchants

Plaît-il ?…
Hmm… J’imagine déjà les mines et les esprits perplexes à la vue de ce titre. Que peut-on bien pouvoir dire sur ce sujet qui soit un tant soit peu intéressant ?
Et bien, je suis désolé de vous annoncer que, si c’est ce que vous pensez, vous vous mettez le doigt dans l’œil. Et si vous voulez savoir ce qu’il peut bien y avoir d’intéressant, j’ai bien peur qu’il vous faille lire ce post. C’est vraiment dommage…

Alors bon, de quoi s’agit-il ?

Au cours de mes nombreuses années en Corée (j’habite ici, à Séoul, depuis l’automne 2002, ce qui est moins que certains mais plus que la plupart) j’ai pu voir de nombreux « dramas » - ces séries à l’eau de rose très populaires en Corée, et sur lesquelles il faudra que j’écrive quelque chose un jour – et, un beau jour, j’ai pris conscience de quelque chose d’assez extraordinaire (pour moi en tout cas).

La plupart du temps, les personnages qui aiment la musique classique sont les méchants.

Si, si. Vraiment.
Enfin, quand je dis « les méchants », ça ne veut, en fait, pas dire gangster, voleur, ou tueur en série. « Méchant » ici signifie quelqu’un qui est tout simplement mesquin, prétentieux, arrogant, sans scrupules aucun, cupide, quelqu’un qui n’a jamais entendu l’expression « fair play », qui est condescendant et enfin, dernier défaut mais non des moindres, qui est…riche. (possible que j’en ai oublié quelques uns.)

Je sais, ça a l’air injuste pour les fans de musique classique. Mais après avoir constaté, systématiquement, que le fils de p… qui venait de fomenter un complot pour s’assurer que l’ex-copain de sa copine ainsi que toute sa famille brûlerait en enfer (ou resterait pauvre, malade et dépressif) pour les 25 générations à venir afin de s’assurer qu’il ne se sentirait pas menacé de quelque façon que ce soit, écoutait de la MUSIQUE CLASSIQUE, je réalisai enfin à quel point Mozart et son œuvre était l’œuvre du Malin. Il est sûr que si je continuais à regarder ces dramas suffisamment longtemps, je finirais vraiment par penser ce genre de choses (c’est effrayant).

On peut dire que j’exagère légèrement, mais seulement en ce qui concerne l’échelle, sûrement pas en ce qui concerne l’essence de base de ce post.

Qu’est-ce Mozart, Beethoven et leurs copains ont donc de si Maléfique ?

Vous êtes sûrs de vouloir connaître la réponse ?
OK. Je vais vous donner la réponse, mais ne la répétez à personne.

Quand ces dramas associent des méchants à la musique classique, ils critiquent leur propre société, les classes supérieures ainsi que tous les fantasmes que l’on peut trouver partout, et tout le temps, dans la société Coréenne, sur « l’Occident ».

Pour comprendre comment je perçois le fonctionnement de ce mécanisme, il nous faut quelques explications supplémentaires.

Après la fin de la Guerre de Corée (1950-1953), la Corée était un pays en ruines et le processus de reconstruction de la Corée du Sud se fit avec l’aide des Etats-Unis (le contexte idéologique signifie que l’aide des Etats-Unis à la Corée ne devrait jamais être perçue comme une aide bienveillante. Ce ne fut jamais leur seule motivation, et jamais ne le sera. L’emplacement de la Corée (la péninsule Coréenne) a une valeur géostratégique trop importante (frontière terrestre avec la Chine et la Russie, le Japon est un très proche voisin) pour être abandonnée aux mains de l’ennemi communiste. Du moins, c’était en gros l’approche américaine. Aider la Corée était important dans le cadre de la politique américaine d’endiguement – je voudrais juste ajouter que toute relation diplomatique fonctionne sur le même modèle. L’aide d’un pays à un autre n’est jamais gratuite. Il y a toujours quelque chose en retour, ne serait-ce « que » de l’influence politique en arrière plan. Ce commentaire peut donc s’appliquer à tout pays « aidant » un autre pays.)

Cela signifie qu’en Corée, pendant de nombreuses années et encore de nos jours, « l’Occident » est synonyme d’« Etats-Unis », à cause de l’incontournable présence américaine et de son influence dans ce pays, et que le modèle de la Corée a été, et est encore, les Etats-Unis, à tous les niveaux. Que ce soit pour l’économie, l’éducation, le cinéma, la politique, etc. tout et n’importe quoi est plus ou moins copié ou inspiré des Etats-Unis, et cela inclut la musique classique.

Je vous accorde que, à l’origine, la musique classique n’est pas américaine, mais Européenne. Mais puisque, pour la plupart des Coréens, tout ce qui est occidental vient, directement ou indirectement, en provenance des Etats-Unis, on peut malgré tout affirmer que pour la plupart d’entre eux cela ne fait pas une grande différence. En parallèle, la musique classique a une image élitiste. Ce n’est pas comme la Pop ou le Rock, qui sont des musiques associées avec les gens dans la rue, le bruit, la spontanéité et l’énergie brute. La musique classique a son public, qui est généralement plus propre et plus calme, et dans bien des cas, plus vieux et plus aisé.

Bien sûr, on trouvera toujours des jeunes qui adorent la musique classique, ça n’est pas un problème, mais, dans l’ensemble, son public ressemble plus à celui précité qu’à celui que l’on pourrait trouver à des concerts à la Woodstock.

Dans tous les cas, étant donné que les Etats-Unis (alias « l’Occident ») est le modèle pour toute la Corée, les classes Coréennes supérieures envoient leurs enfants dans des écoles internationales et dans les meilleures universités américaines, ils insistent sur l’importance de parler couramment anglais (anglais américain), et de connaître la culture américaine, et de ce fait, veulent apprécier, ou montrer qu’ils apprécient (ce qui est assez différent), la culture des élites américaines, ce qui, pour des raisons historiques, inclut des morceaux de culture européenne, telle la musique classique.

Comme l’image de la musique classique est liée à une espèce d’élitisme, ce qui est le cas en Corée, cela signifie également qu’elle peut bénéficier d’une image assez négative auprès des Coréens de base, et que ceux qui l’apprécient peuvent être perçus, par association, comme snobs.

Mais, plus généralement, il est aussi possible de dire qu’afficher un goût pour des produits occidentaux est souvent associé à de la prétention. Disons que l’on peut comparer ce phénomène à des Anglais utilisant un grand nombre d’expressions françaises ou des Français mélangeant trop d’anglais. On aboutit à un effet similaire. You know what I mean ?

Un exemple typique de ce mécanisme dans une série coréenne serait une scène se déroulant dans un restaurant français chic (avec un sommelier Français parlant anglais avec un très fort accent), de la musique classique en fond et des rideaux baroques tout autour.

Bien sûr, la prétention n’est pas le pire des péchés, mais il n’en est pas loin en Corée, où chacun se doit d’adopter un comportement humble, quelles que soient les circonstances. Donc un riche dont ce n’est pas le cas sera perçu de manière très négative.

Il me faut ajouter qu’un autre facteur très important entre en jeu, et il s’agit de l’aspect nationaliste, ou « groupiste ».

Comme la musique classique vient de l’Occident, elle est, par essence, non Coréenne, et une personne qui se trouve préférer ce qui est étranger à ce qui est Coréen est quelqu’un qui se rend responsable d’un crime horrible. Cela peut parfois être perçu comme une sorte de trahison envers le groupe. (jetez un œil à la part (extrêmement basse) des voitures importées en Corée.)

Les Coréens fonctionnent tout d’abord en tant que membres d’un groupe, l’individu ne vient qu’après. Ils se définissent comme membres de plusieurs groupes, allant du plus petit au plus étendu, comme des poupées russes par exemple :

On peut illustrer cela de la façon suivante :
Premier groupe : parents et famille
Deuxième : école
Troisième : village/ville
Quatrième : région
Cinquième : entreprise
Sixième : pays

Il est parfois possible de lire le contraire, c’est à dire depuis le pays jusqu’à la famille, mais la famille est vraiment le point de départ. Cette succession de groupes ne devrait pas être prise comme fixe ou sans erreurs. Il est évident que je ne peux pas faire la liste de tous les groupes potentiels que l’on peut trouver en Corée (et il y en a beaucoup !). De plus, les groupes géographiques (ex. village) et temporels (ex. telle année dans telle école) ne sont bien sûr pas incompatibles, quelqu’un fait toujours partie de plusieurs groupes en même temps.

Cette préférence donnée aux groupes est souvent un gros problème. Cela prend, entre autres, la forme de régionalisme. Ce régionalisme peut se manifester de manière impressionnante, comme par exemple lors d’élections, où un candidat pourra obtenir plus de 90% (et oui!) des votes de sa région ou de sa ville natale.

Enfin bref, il semble que je m’éloigne un brin du sujet de départ, mais, étant donné que tout est lié, je pense que ce petit ajout était nécessaire.

En conclusion ? Pourquoi ? Il y en a une ? Ben, la prochaine fois que vous regarderez une série coréenne, un drama, regardez attentivement pour vérifier si je n’ai pas écrit n’importe quoi dans ce post. Ce sera ma récompense, et la vôtre.

En écrivant ces lignes, j’ai aussi pensé à l’image de la musique classique dans les séries/films en Occident.
Je me rappelle regarder Smallville (la série retraçant l’adolescence de Superman) et les grands méchants, c’est à dire Lex Luthor et son père, Lionel, écoutaient également de la musique classique (mais pas les autres, pas les gentils). J’ai aussi l’image, je ne sais pas trop de quel film, d’un assassin écoutant de la musique classique (« Orange Mécanique » de Stanley Kubrick pourrait bien correspondre)… il semble bien que musique classique et psychopathes soit une bonne combinaison dans l’imagerie populaire occidentale…

Je me demande d’où ça peut bien venir…peut-être de l’image de Wagner associée à celle de l’Allemagne Nazie ? Je me demande… vos commentaires sont les bienvenus

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