Wednesday 24 March 2010

La peine de mort pourrait bientôt être « réactivée » en Corée du Sud

La Corée du Sud vit actuellement des instants cruciaux qui risquent de déterminer le futur de la peine capitale et du traitement de ses prisonniers pour les années à venir.

Ces dernières semaines, le pays tout entier a été pris dans un tourbillon de rage populaire à l’encontre d’un tueur-violeur d’enfant. Un crime dont la victime est une jeune adolescente et qui, c’est compréhensible, déchaîne la fureur du public.

A l’image des affaires de pédophilie très médiatisées qui se sont multipliées ces dernières années, avec Dutroux il y a quelque temps déjà, ou plus récemment les scandales à répétition impliquant l’Eglise catholique aux Etats-Unis ou en Irlande, ou encore la récente réapparition sur le devant de la scène médiatique britannique de Jon Venables, l’un des deux meurtriers du petit Bugler, qui aurait été trouvé en possession de matériaux pédopornographiques (à l’origine une affaire remontant à 1993 dans laquelle deux enfants de 10 ans avaient tué un bébé de 2 ans après l’avoir torturé), les Sud-Coréens sont actuellement pris de rage. Une rage qui pourrait bien les amener à reprendre les exécutions capitales qui avaient été connu une pause depuis l’arrivée au pouvoir en 1998 de l’ancien président Kim Dae-jung, lauréat du prix Nobel de la paix en 2000 pour ses efforts de réconciliation avec le Nord et sa rencontre avec le « cher leader » Kim Jong-il en 2000. Kil Dae-jung qui, en tant qu’opposant au pouvoir, avait lui-même été condamné à mort en 1980 pour trahison par le régime autoritaire de l’époque, pour être libéré en 1982 puis réhabilité dans ses droits en 1987, et finalement devenir à son tour président en 1997 (prise de fonction en 1998).

Son successeur en 2002, Roh Moo-hyun, étant lui-même un avocat défenseur des droits de l’homme avant de s’engager dans la politique, ce moratoire tacite sur la peine de mort initié par Kim Dae-jung a vu son existence prolongée de manière pourrait-on dire quasi-automatique pendant la durée de son mandat.

Avec l’arrivée au pouvoir en 2007 du conservateur Lee Myung-bak, ancien président de la branche construction du conglomérat Hyundai, ancien maire de Séoul et populiste notoire, tout cela pouvait changer. Et ce, d’autant plus après la mort rapprochée des deux ex-présidents Kim et Roh, l’un de maladie, l’autre après un suicide présumé que beaucoup attribuent à « l’acharnement » de l’administration Lee sur Roh, pour des affaires de corruption dans lesquelles des membres de sa famille et des proches auraient été impliqués (les choses étant ce qu’elles sont en Corée du Sud, la justice mit un terme aux poursuites engagées après son décès ; ce qui peut sembler étrange si l’on part du principe de l’indépendance de la justice à l’égard du politique – un signe que certains interprètent comme la confirmation que les poursuites étaient bel et bien politiquement motivées au départ, sinon elles auraient continué après sa mort, car impliquant principalement d’autres personnes que lui).

Mais je m’égare, même si rappeler à qui la Corée du Sud doit son moratoire de fait sur la peine capitale est essentiel si l’on souhaite mieux comparer la situation complexe actuellement en cours de développement.

Donc, il y a environ un mois, une collégienne de 13 ans de Pusan, la deuxième ville de Corée et un port important au sud de la péninsule, était portée disparue. Deux semaines plus tard, son corps sans vie dépouillé de tout vêtement était retrouvé dans une citerne vide abandonnée. L’autopsie révéla qu’elle avait été violée.

Aussitôt, la police se mit sur le pied de guerre pour trouver le coupable, et très vite un suspect, ou devrait-on dire LE suspect, un récidiviste ayant déjà fait de la prison pour des affaires de viols, a son nom rendu public dans les médias, sans pour autant être immédiatement attrapé.

Le président sud-coréen, qui est partout, fait tout, s’occupe de tout et veut se montrer indispensable à la gestion du pays jusque dans ses moindres détails, intervient dans les médias pour ordonner à la police d’arrêter le suspect dans les plus brefs délais.

Dès cet instant, il est possible de mettre en doute la sincérité de son intervention, car il est évident qu’il aurait tout aussi bien pu contacter le chef de la police de Pusan en privé (ce qu’il a d’ailleurs probablement fait) sans passer par les médias et que la police aurait fait son travail tout aussi bien, voire mieux, avec moins de pression médiatique.

Dans une affaire aussi dramatique que celle-ci, qui voit la vie d’une famille dévastée par la découverte d’une si horrible vérité, le rôle d’un président n’est pas de se mettre en avant et de soigner son image de dirigeant proche des préoccupations du peuple en utilisant les médias, mais plutôt à adopter une attitude discrète au lieu de faire des déclarations à la presse à tout bout de champ pour montrer qu’il s’occupe personnellement du cas.

D’autres chefs d’Etat, coréens ou pas, n’auraient probablement pas mis à profit ce genre de situation pour essayer de faire avancer des parties de leur programme ou de leur idéologie, certains auraient fait montre de plus de retenue.

On pourrait même dire que, à voir à quel point le gouvernement de Lee Myung-bak est déchaîné, on a l’impression que ce crime est du pain béni pour le parti du président, qui s’en donne à coeur joie pour suggérer jour après jour un nombre record de propositions.

Tout d’abord, le gouvernement a proposé de mettre en place une mesure qui, bien que n’étant pas spectaculaire dans sa mise en place, l’est néanmoins par le fond. En effet, l’une d’entre elles consisterait ni plus ni moins à introduire une mesure rétroactive pour les personnes condamnées pour délit sexuel sur mineur.

Concrètement, les pédophiles condamnés pour des crimes commis après septembre 2008 doivent porter un bracelet électronique 24h sur 24, mais avec la révision de loi projetée, ceux condamnés avant cette date (où cette mesure a été introduite) devront également le porter.

Même si à première vue on pourrait penser qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat, à y regarder de plus près cela revient effectivement à introduire un principe de rétroactivité dans la loi, une pratique qui est bannie par toute démocratie qui se respecte, car nul ne sait où pourrait amener ce genre de révision de loi.

Aujourd’hui, cela touche au bracelet électronique, et demain ? Un condamné purgeant une peine d’un an de prison en ce moment même verra-t-il sa peine transformée en une condamnation de 3 ans, 5 ans, 10 ans, suivant la conjoncture, les fluctuations de l’opinion publique et le bon-vouloir du gouvernement ? Quels critères seront utilisés pour juger s’il est adéquat d’introduire telle mesure rétroactive ou telle autre ? Qui sera jugé apte à légiférer ? Quels domaines seront concernés ? Quelle sera la limite temporelle de rétroactivité ?

Autant de questions auxquelles, bien entendu, il n’y a pas de réponses, car il va de soi que le principe même d’une mesure de loi créant un effet rétroactif n’appartient pas à un système démocratique, mais bel et bien à une dictature, ou tout le moins à un régime autoritaire.

A ce sujet, le président Lee ne cache pas son admiration pour le défunt dictateur Park Chung-hee, hait et vénéré tout à la fois (assassiné en 1979), et met bien des occasions à profit pour l’afficher lorsqu’il s’habille en treillis militaire pour certaines occasions (ce que ses deux prédécesseurs ne faisaient pas) où encore lorsqu’il décide d’organiser des réunions hebdomadaires de crise dans le bunker situé sous le palais présidentiel, histoire de bien faire comprendre au public à quel point la situation de l’économie est grave et qu’il a les choses bien en main, à l’image d’un commandant en chef menant ses troupes à la bataille (à condition qu’on se taise dans les rangs).

Son gouvernement a bien compris tout le bénéfice qu’il pouvait retirer du meurtre et du viol de la jeune collégienne, en menant des sondages auprès du public sur la peine de mort qui, dans un contexte chauffé à blanc par les médias, serait (« bien sûr », serait-on tenté de dire) favorable à 80 % à la peine capitale ; en proposant des peines plus lourdes pour les pédophiles ; en suggérant « qu’ils soient gardés à distance de la société » une fois libérés (on ne précise pas encore comment) ; et, last but not least, en proposant d’exécuter les 59 condamnés à mort en attente dans les prisons coréennes depuis leur condamnation.

La Cour constitutionnelle de Corée du Sud a récemment statué, en février dernier, sur la constitutionnalité de la peine capitale, estimant que celle-ci n’allait pas à l’encontre de la constitution du pays et que les prisonniers actuellement en attente de l’application de leur sentence pouvaient donc être exécutés.

Pendant la campagne présidentielle de 2007, l’un des principaux slogans de Lee Myung-bak, matraqué à longueur de journée, mettait en avant les « 10 années perdues » des deux présidences précédentes, au cours desquelles de nombreuses avancées ont été effectuées dans le sens d’une plus grande démocratisation du pays pour faire comprendre au peuple que le pouvoir était entre ses mains. Nul doute que l’explosion de l’Internet dans cette période (1998-2008) a grandement contribué à une large diffusion de concepts démocratiques dans la population coréenne et particulièrement chez les jeunes, grâce à un plus large accès à l’information, s’affranchissant des quotidiens conservateurs qui dominent la presse écrite en Corée.

En réintroduisant des mesures renforçant les contrôles d’identité en ligne et en adoptant une ligne plus dure proche de ses valeurs de base (nostalgie du système autoritaire datant d’avant les années 90), il semble bien que, effectivement, le parti de lee Myung-bak ait pour objectif de se débarrasser, du moins en partie, de l’héritage des 10 années qui ont précédé sont arrivée au pouvoir. Mais limiter les libertés, accentuer les peines et la répression et relancer l’application de la peine de mort n’est pas le signe que le président ou son parti aient une vision pour le futur de la société coréenne.

Le « bulldozer », un surnom donné à l’actuel président lorsqu’il dirigeait la branche construction de Hyundai, a beau penser qu’un pays peut se gérer comme une entreprise, une Nation, une société, est bien plus qu’une série d’indicateurs économiques. Les problèmes auxquels est actuellement confrontée la Corée au niveau social sont là pour lui rappeler qu’on ne peut résoudre les problèmes sociaux d’un pays de la même façon que ceux d’une compagnie.

Il est regrettable que Lee Myung-bak ne comprenne pas que l’utilisation de la misère du monde à des fins politiques, en l’occurrence un meurtre pédophile, ne soit pas éthique, (même si c’est ce que fait quotidiennement la plupart des hommes politiques partout dans le monde) et que la reprise des exécutions de condamnés à mort ne viendra malheureusement ni réduire ni mettre un terme aux meurtres ou aux viols d’enfants ou d’adultes. Cela aura pour seul effet de mettre en place des conditions pour une société plus répressive à l’égard de sa population en général.

Les familles endeuillées n’ont pas besoin d’une aide hypocrite, elles souhaitent probablement juste qu’on les laisse en paix. L’exécution de ces condamnés à mort, si elle a lieu, et la mise en place éventuelle de mesures n’ayant rien à faire dans une démocratie ne leur ramènera pas leur fille et ne garantira pas à la société coréenne des jours meilleurs.

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