Saturday 14 November 2009

La Corée du Sud est-elle un Etat indépendant ?

D’ici quelques années, la Corée du Sud devrait reprendre le contrôle de son armée dans sa totalité.

Qu’est-ce que cela veut dire ? la Corée n’est-elle pas un pays souverain en mesure de diriger son armée comme bon lui semble selon les circonstances et les besoins qui se présentent ?

Et bien non.
En tout cas pas encore.

Dans l’état actuel des choses, le contrôle de l’armée sud-coréenne au plus haut niveau en cas de guerre est entre les mains des américains.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, le contrôle des forces armées sud-coréennes en temps de paix appartenait aux américains jusqu’en 1994.
Puis, plus récemment, lors d’un discours prononcé le 15 août 2004, c’est Roh Mu-hyunn, le précédent président de Corée du Sud (maintenant décédé suite à son suicide en mai de cette année), qui a fait mention de l’importance pour la Corée du Sud de posséder une défense indépendante, afin d’émanciper son pays de la tutelle militaire américaine, en développant un partenariat avec les Etats-Unis où ces derniers joueraient un rôle d’allié dans pour autant avoir droit de regard sur l’armée coréenne en tant que telle.

La Corée a donc récupéré le contrôle de son armée en temps de paix en 1994, et devrait le récupérer le 17 avril 2012 pour une situation en cas de guerre.

La Corée et les Coréens étant un pays et un peuple assez complexes, la décision du président sud-coréen de mettre fin à ce contrôle militaire a rencontré de vives résistances de la part d’une certaine catégorie de la population, principalement la vieille génération, pour qui les Etats-Unis sont synonymes d’allié protecteur de la péninsule sans qui le Sud serait irrémédiablement tombé aux mains des communistes du Nord.

Il n’est bien sûr pas nécessaire de céder le contrôle de son armée pour nouer une alliance forte et d’être assuré de la protection d’une grande puissance – après tout, c’est le cas de nombre d’alliés des Américains ou des Russes – mais ce n’est apparemment pas ce que pensent certains Coréens, qui craignent que la récupération – fort légitime au demeurant – de ce contrôle ne soit perçue comme un affaiblissement de leur armée pour des yeux extérieurs malveillants.

La transformation de l’alliance militaire américano-coréenne inquiète d’autant plus certains supporters coréens des Etats-Unis qu’elle ne représente qu’un des volets des changements apportés par le défunt président. En effet, la relocalisation prochaine d’une importante base militaire américaine se trouvant en plein centre de Séoul (d’une taille équivalente à Central Park) à Pyeongtaek, à environ 65 kilomètres au sud de la capitale, alimente les craintes de ceux qui pensent que leur pays est en train d’affaiblir ses défenses face à une attaque éventuelle des Nord-Coréens.

Les mêmes s’inquiètent qu’un tel déménagement soit le signe d’un désengagement américain dans la péninsule qui pourrait déboucher sur de plus grandes probabilités d’un conflit armé. En effet, en mettant hors de portée ses troupes de la ‘killer box’ qu’est Séoul, les Américains s’assureraient ainsi des pertes réduites en cas de bombardement de la capitale, et seraient alors moins hésitants à engager de front le Nord, et à empêcher le redémarrage d’une guerre qui n’a jamais officiellement cessé (seul un armistice a été signé en 1953).

Il faut savoir que Séoul se trouve à portée de canon de l’artillerie du Nord et un conflit armé ferait un vrai carnage parmi les 20 millions de résidents de l’agglomération séoulite.

Qu’un tel débat portant sur un élément clef de la souveraineté même d’un pays puisse exister peut sembler étonnant, car en effet quoi de plus symbolique de l’indépendance d’un pays que le contrôle de son armée ?

Etant donné que l’alliance actuelle entre la Corée du Sud et les Etats-Unis est l’héritage direct de la guerre de Corée (1950-53), issue de la Guerre Froide, et sachant que cette guerre est techniquement encore en cours, on pourrait être tenté de voir l’origine des craintes sud-coréennes dans la guerre civile qui a eu lieu il y a maintenant presque 60 ans.

Mais cela serait ignorer les siècles d’histoire de la Corée, pour lesquels les Coréens ne se lassent pas de vanter leur pays.

En fait, à y regarder de plus près on s’aperçoit d’une chose essentielle dans l’histoire millénaire de la péninsule, c’est qu’une grande part de son histoire récente, voire moins récente, peut être caractérisée par une absence de réelle indépendance.

La péninsule coréenne a été occupée par le Japon de 1910 à 1945, période capitale pendant laquelle la Corée avait temporairement cessé d’exister au niveau des relations internationales et qui est encore à l’origine de désaccords avec le Japon de nos jours pour, notamment, l’appellation des mers environnantes (exemple : ‘mer du Japon’ à la place de ‘mer de l’Est’ ou vice-versa) figurant actuellement sur de nombreux atlas dans le monde.

La période précédant l’occupation japonaise correspond à la dynastie Yi, ou la période Joseon, au choix, s’étendant sur plus de 500 ans, de 1392 à 1910.
Même si au cours de cette période on ne peut remettre en cause le fait que la Corée était un ‘pays indépendant’, il est également vrai que les coréens eux-mêmes reconnaissaient la primauté de la Chine dans la région et lui présentaient un tribu annuel en signe de soumission, et attendaient de la Chine protection et une attitude bienveillante à leur égard, à l’image d’un grand frère veillant sur le cadet ; une image et un rôle d’ailleurs rempli par la Chine, notamment au cours de l’invasion japonaise de 1592-1598, au cours de laquelle les chinois avaient envoyé de nombreux renforts, affaiblissant ainsi son armée face aux invasions mandchoues qui n’allaient pas tarder à pointer le bout de leur nez.

Sans remonter plus avant dans le temps, on constate très vite un élément qui caractérise une grande partie de l’histoire coréenne, à savoir que la Corée a rarement été dans une position de pays indépendant que ce soit au niveau matériel (occupation japonaise) ou psychologique (position de vassal affirmée vis-à-vis de la Chine pendant des centaines d’années).

A la lumière de ces informations, il n’est donc finalement pas étonnant de constater les réticences de certains Coréens en ce qui concerne la volonté de leur gouvernement de développer une ligne affichant une plus grande indépendance. Pour ceux-là, indépendance est synonyme à la fois d’insécurité (qui viendra en aide à la Corée en cas de pépin ?) et d’inconnu (quelles en sont les implications ? Il faut se prendre en main).

En somme, la Corée a du mal à se libérer d’un schéma de soumission imprimé dans son histoire au cours de plusieurs centaines d’années. On peut se poser la question de la capacité de la Corée à développer une ligne plus indépendante qui aurait pour but d’entretenir une relation plus ‘égalitaire’ avec les Américains. Ce n’est pas chose facile, mais étant donné le récent statut de pays riche de la Corée du Sud et sa non moins récente influence à travers toute l’Asie à travers sa culture Pop, ses séries télé et son cinéma, on se prend à penser qu’il est possible qu’elle réalise finalement qu’elle a un rôle à jouer au niveau international, libérée en partie de l’influence américaine omniprésente, et qu’il ne tient qu’à elle à affirmer enfin, après une parenthèse de plusieurs centaines d’années, le caractère unique de sa culture et de sa vision du monde.

Mais il faut d’abord pour cela que les Coréens soient persuadés de leur capacité à s’émanciper et à agir de manière indépendante du bon-vouloir d’une autre grande puissance. Un processus qui, s’il se produit un jour, demandera probablement encore de nombreuses années.

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